Marquises_les langues des iles et la tradition des patronymes_txt

EtoileDeLune
nathalie & dominique cathala
Thu 30 Sep 2010 02:23
Objet très linguistique : Aujourd'hui je vous parlerai de la tradition des patronymes aux Marquises, ainsi que des particularités de leur langue. Et avant de vous donner une liste de noms marquisiens qui en inspireront plus d'un, je vous révélerai le nom marquisien que m'ont offert les enfants de Hapatoni.

Bonjour,

Notre séjour parmi les enfants en vacances de Hapatoni me permet de vous parler de leur langue. Terii dont je vous ai parlé lors de la fête de l'Aranui a entrepris de m'apprendre le marquisien. Cela lui procure plus d'occupation qu'il n'aurait pu en rêver pour sa semaine...

Depuis notre arrivée aux Marquises je m'intéresse de près à la langue marquisienne. J'ai gribouillé des carnets entiers de mots et de leurs significations. Mais, j'ai très vite compris que jamais je ne parviendrais à parler cette langue faite de toutes les voyelles que nous connaissons et de seulement 8 consonnes avec une prédilection pour le "h" très aspiré, le "k" très prononcé, le "v" imperceptible, où le "p", le "b" se confondent même pour celui qui accorde une attention auditive particulière à tout ce qui se dit.

Dans ce contexte hermétique, j'ai, néanmoins, appris à dire bonjour (kaoha), merci (vaie nui), au revoir (apai). Et encore... J'ai réalisé à quel point ces petits mots pouvaient se révéler scabreux. Si le "h" de kaoha n'est pas aspiré convenablement, le Marquisien auquel vous pensez adresser vos salutations entendra le mot "poisson" (kaooa). Il en est de même pour les mots vahi (casser) et vai (eau). Les voyelles étant mises à l'honneur, il convient de les prononcer avec précision. Mais, certains sons divergent tant du français qu'il nous sont hors de portée. Comment reproduire un "Heiau"? Et puis, l'accent tonique est important. Dans le mot merci "vaie" l'accent est sur le "e" qui se prononce "é" très très fort!

J'ai eu moins de mal à m'adresser aux Indiens kunas qu'aux Marquisiens!

A grand regret, j'ai renoncé, comme je le faisais ailleurs, à m'adresser en langue endémique. Par contre, je me suis rabattue sur la signification des patronymes. En Polynésie, baptiser son enfant révèle une poésie où rejaillit toute l'identité ma'ohie.

Dans chaque village, nous trouvons dans les enfants, des complices de choix à ma curiosité linguistique. Je leur promets dès le premier jour que je viendrai chaque jour avec un carnet pour noter tout ce qu'ils veulent bien m'enseigner, ou tout ce que leurs parents consentiront à me dévoiler sur leur coutume si particulière.

Les parents me regardent d'abord avec circonspection :
"Qu'est ce que c'est que cette touriste-là ? Personne n'a jamais montré autant de verve à nous comprendre?"
Les enfants sont ravis. Hors de l'école, ils voient là, une occasion de varier leurs occupations. Peu à peu, les parents se prennent au jeu. Ils se mêlent au groupe autour de nous. Ils corrigent les fautes, insistent sur la prononciation...

Ils ont tous à coeur de m'épeler leur nom, ceux de leurs frères, de leurs cousins, de leur maman... toute la famille y passe. Et, ils m'en donnent parfois la signification. Je dis parfois, car la langue marquisienne semble une langue vivante. Mais lorsque je vous dis qu'elle est vivante, croyez-moi, elle l'est! Sur une même île, d'une vallée à l'autre, les mots varient. Ils se comprennent, mais avec des variantes. Les mots de l'île de Fatuiva ne sont pas ceux de Tahuata (40 milles séparent les deux îles de chacune quatre cent habitants).

Pour compliquer le tout, la langue du sud des Marquises n'est pas la même que celle des insulaires du nord de l'archipel. Ainsi, un chien se dira "nuhe" dans le sud, et "peto" dans le nord.

Attention, les deux branches marquisiennes du langage polynésien sont totalement différentes des idiomes utilisés par les Tahitiens, les Pomotus (habitants des Tuamotu), des Gambiers ou des Australes. Entre archipels ils ne se comprennent pas du tout. Le Tahitien vous dira "nana" (au revoir) et le marquisien vous saluera d'un "apai". Le mot chemin en tahitien se dit "Ara" (le paquebot Aranui, signifie "long chemin" et en marquisien "taha". En tahitien la mer se dira "miti" et à Tahuata, ils utiliseront le mot "tai". Tandis que le mot "miti" signifiera cuillère.

De plus, cette langue évolue au gré des interprétations des familles. J'ai en tête le nom d'une petite fille : Heiau Taha Nui. Sa maman lui donne la traduction de "longue traversée". Car elle a traversé tous les archipels en bateau pendant qu'elle l'attendait. Mais les voisins qui ne connaissent pas la genèse de ce nom me diront qu'ils traduisent ce prénom par "longue couronne sur le chemin". Hei=couronne; taha=chemin; nui=grand.

J'aime cette manière de renouer avec les prénoms imagés. Depuis une dizaine d'années, les Marquisiens reprennent cette tradition. Chaque famille possède des noms particuliers qu'aucune autre famille ne peut utiliser. Les grandes familles marquisiennes sont fières de leur nom et appartiennent à des lignées de guerriers, d'anciens notables... Devant le nom de famille, ils pourront ajouter la lettre "O", cela signifie tout le respect que l'on doit à la descendance d'anciens Ma'ohis qui se sont en général distingués dans un passé, "presque" oublié. Ainsi, il reste l'étiquette de "O Tiu", la famille des Tiu dont faisait partie notre ami Gaby Heitaa. D'ailleurs, cette lignée n'est pas toujours retranscrite dans les papiers officiels. La famille Motaiki est une famille d'anciens guerriers...

D'une vallée à l'autre, les villageois sauront qui appartient à tel village rien qu'en entendant tel ou tel nom. A sa naissance, un enfant recevra plusieurs prénoms. Le premier sera inscrit au calendrier des saints et sera considéré comme le "nom français". Pendant plusieurs décennies, sur les carnets de naissance seul ce nom figurait. A présent, les prénoms marquisiens trouvent leur place, comme de droit, sur tous les documents officiels accompagnant une personne de sa naissance jusqu'à son dernier jour. La génération des cinquante ans et plus ne porte en général qu'un prénom français. Par contre, les enfants d'aujourd'hui sont fiers de porter leurs noms marquisiens.

Ajoutons une dernière petite particularité à tout ce petit monde qui jongle avec ce qui nous paraît compliqué et qui pour eux est "jeu d'enfants". Le livret de famille comporte un nom français par enfant et quantité de noms polynésiens. Les enfants, selon qu'ils aient un grand-père dans l'archipel de la société, une grand-mère dans les Australes, un oncle dans les Tuamotu et le reste de la famille aux Marquises porteront des noms venus des quatre coins de la Polynésie. Et... par un curieux hasard (est-ce pour simplifier le tout?) le nom par lequel tout le monde l'appellera ne sera noté nulle part, sur aucun papier officiel!

Du coup, les enfants de Hapatoni ont eu envie de me débaptiser. Ils m'ont offert le joli nom de Tiare Ma'ohie (Tiaré est le nom générique de "la fleur") et Tiare Ma'ohi est la fleur typique de la Polynésie que tous se mettent à l'oreille.

Pour vous donner une idée de la magie que recèle cette pratique, voici quelques prénoms :

Fatuiva :

Vai Tiare ( l'eau et la fleur)
Metani : le vent
Ohotu Nui : pleine lune
Noho Ani : l'île et le ciel
Turiana : (le fruit du Durion)
Hei Pua : couronne de fleurs

Hiva Oa :
Mata Hei Pua : le regard sous la couronne de fleurs
Ani Hei Tiki : La couronne de tikis dans le ciel
Manuhiti O Motaiki
Vahi Ani O Temetiu : Le ciel cassé par le Mont Temetiu (le nom d'un petit garçon qui habite sous la montagne haute de 1276 mètres qui casse les nuages du ciel)

Tahuata :
La famille O Tamatai : enfants de la mer
Mauiotopa : qui tombe en bas (une petite fille avec les genoux égratignés tant elle tombe facilement)
Matuu : m'a donné
Terii : roi
Tehia : princesse
Teii : la force
Hei Moni : la couronne d'argent
Te Poea Nui : le plus beau garçon
Poe Hei Kua : Grande couronne de perles superbes
Here Nui : qu'on aime beaucoup
Vai Here : Aimer l'eau
Vae Taha : Choisir le chemin
Teupootue : la tête
Maupoo: Deux têtes
Teoho : L'aurore
Teata : l'image
Hana Tea : petite île
Tepeiu Fiti Ani : La vierge marie qui monte au ciel

Tahitien
Iaora : homme courageux
Vai Miti (l'eau et la mer)
Ani Miti : le ciel et la mer

Tous ces noms sont si jolis, qu'ils donnent envie de les utiliser et pourquoi pas, pour un compagnon des mers?

A plus pour d'autres impressions des Marquises
Nat et Dom
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