Marquises_entre Ua Huka et Nuku Hiva

EtoileDeLune
nathalie & dominique cathala
Wed 3 Nov 2010 21:39
8:51.755 S 139:50.170 W

Objet : randonnées dans Ua Huka, navigation vers Nuku Hiva

Bonjour,

Nous sommes dans le triangle des îles du nord des Marquises. Dans notre sillage, nous laissons Ua Huka, devant l'étrave, Nuku Hiva grandit et sur notre bâbord, au loin, nous devinons dans la brume de chaleur Ua Pou. C'est la première fois depuis de nombreux mois que je peux vous écrire tandis que nous naviguons. Nous sentons le changement de saison approcher. La houle est toujours présente, mais elle ne dépasse pas 5 pieds, le vent est faible. Les muscles se relâchent, le gréement se détend, la coque glousse : Que du bonheur!

Notre séjour sur Ua Huka fut extraordinaire. Je ne parle pas du mouillage. Le meilleur plan pour visiter cette île, reste le sac à dos, la tente, et de venir par les airs. Mais vu que nous n'avons pas encore transformé notre Etoile en "objet volant", il nous a fallu subir les conditions telles qu'elles étaient. Pourtant, les villageois nous disaient à quel point le plan d'eau était "enfin calme"! Il s'est calmé à notre arrivée et pour eux, les conditions ne pouvaient être meilleures.

Nous avons fait la rencontre du "Mutoi", le policier municipal qui veille sur les 586 âmes de l'île. Un monsieur charmant qui a noté sur un calepin le nom de notre bateau et le nôtre. Son carnet n'était pas épais, il n'avait plus vu de bateau depuis juin dernier.

Nous n'avions pas réalisé que nous avions choisi le week-end de la Toussaint pour visiter l'île. Ainsi, les musées des trois vallées étaient fermés. Ce qui ne nous a pas empêchés de les visiter. Ils sont ouverts à longueur d'année pour personne, alors, les villageois se sont débrouillés pour trouver les clés des différents points d'intérêts pour nous les ouvrir un jour férié. Ce n'est pas que nous cherchions tant à nous enfermer dans les salles archéologiques, marines, ou autre. C'est simplement que les insulaires ont eu à coeur de nous montrer ce qui fait la fierté de leur île. C'est du joli travail. Ce qu'ils nomment "musée" se résume à une petite bâtisse, une pièce où les artisans transmettent la tradition. Celle des pirogues dans le musée de la marine. L'art des pétroglyphes au musée de la pierre de Hokatu, l'art de vivre maohi, dans le musée archéologique de Vaipae.

La chance a placé sur notre route, une foule de bonnes âmes, toujours prêtes à communiquer l'amour de leur île. Ici, il règne une humanité sereine et saine. Une gentillesse simple, sans éclat. Quelque chose de tranquille et doux, une façon de vivre leur quotidien sans fioriture, sans embarras. Tout est naturel.

Parmi tous ces gens, (qui ne peuvent s'empêcher de nous demander en nous rencontrant : "vous êtes du bateau de Hané?") Donc parmi ces bonnes âmes, nous croisons deux Popa'as "adoptés". Jacques (53 ans, originaire de Perpignan) et Dominique (73 ans, de Paris). Tous deux sont globe-trotters. Dominique écume les îles du Pacifique, mais il revient toujours vers Ua Huka, où son bungalow l'attend chez Delphine à Hokatu. Incroyable de vigueur, il nous propose une "balade sur les crêtes"...

La veille, Jacques nous avait emmenés dans une randonnée en forêt où la découverte de pétroglyphes et de tikis fut le prétexte à une merveilleuse marche dans les vallées ombragées qui relient Hokatu et Hane. Chaque pas pose le pied au coeur d'une des merveilles de ce monde. Et pendant 4h30, Jacques nous fait part de toutes les connaissances qu'il a amassées durant ces 30 dernières années en Polynésie. Il ouvre notre conscience à un autre monde. Lui qui vit, à raison de six mois par an, au coeur de la population de Polynésie, nous traduit tout ce que nous avions tant de mal à interpréter. C'est un trésor que cette rencontre! En plus de l'enseignement d'une culture et de croyances encore très présentes sur Ua Huka, il pointe chaque oiseau qui nous survole. Il les nomme en marquisien et en français. Il nous dévoile une espèce endémique : la perruche ultramarine. Un petit oiseau bleu marine sur le dos, turquoise sur le ventre. Exceptionnel ! Nous sommes ravis de retrouver une fau
ne terrestre vivante. Ces derniers mois, elle nous manquait. Ici, le ciel est peuplé de volatiles de toutes espèces, et nous croisons sans cesse des chevaux, étonnés de trouver sur "leur territoire" des bipèdes piaillant.

Le soir nous rentrons fourbus au bateau. Le roulis ne ménage pas nos courbatures, mais nous tombons de sommeil, jusqu'au lever du jour, où nos amis nous attendent déjà sur l'île pour partir vers les crêtes. Cette journée-là, j'ai regretté ne pas avoir été fabriquée tels une biquette ou un cheval! Il m'a manqué deux pattes tout le temps de l'ascension. Les gars ont été sympas et patients. Mais Bon Dieu ! Quel panorama! Etoustouflant. Sous les pieds, une pente de 800 mètres dévale vers le bleu indigo. Devant, une roche, tel un poing levé vers le ciel se dresse entre deux vallées. Dom part avec nos deux amis, à flanc de falaise pour y voir le trou du chat. Je reste en arrière. Pour les suivre, il faut traverser une muraille, où l'on ne peut mettre qu'un pied à la fois, la roche est friable, et de chaque côte il n'y a que le vide pour se raccrocher à son destin. Je photographie les aventuriers courageux, ils disparaissent derrière la crête. Je reste seule, au beau milieu d'un déc
or éblouissant. Je m'assois, les pieds balancent dans le vide.

Je n'ai jamais été tentée par la méditation. Pourtant, ici, entre l'océan, un volcan éteint et le ciel, je me sens en lévitation. Portée par une nature grandiose. Derrière moi, les parois du cratère descendent à pic vers la mer. Le sommet gris perle se peuple, peu à peu, de filaos et de cocotiers. La pierre est polie sous l'effet de cascades, aujourd'hui asséchées. A l'ouest, de multiples cratères s'évasent vers la mer. Les premiers sont tapis, sous une épaisse forêt. Mais en s'éloignant vers l'ouest, la végétation disparaît et laisse la roche inventer un nouveau décor. Un espace minéral et chromatique où toute la virtuosité de la palette des nuances a été utilisée. Des courbes carmin, des enchevêtrements concaves de safran, des buttes ocre, des vallons aux reflets champagne... Toutes les teintes se marient, sans vraiment trancher, sans jamais se confondent. Un concerto de couleurs du plus grand génie!

Les hommes reviennent. Il faut redescendre tout ce qui a été gravi. Au passage nous admirons la robe des chevaux omniprésents. Dans les sous-bois, nous cueillons des oranges et des mandarines délicieuses et plus juteuses que jamais. Sans Jacques et Dominique, nous nous serions perdus. Les chemins et sentiers se croisent et s'entrecroisent au sein d'une jungle épaisse, aucune indication ne permet, à l'étranger, de s'y retrouver. Ils furent tous deux des guides indispensables.

Nous redescendons vers le village de Hokato vers la fin de l'après-midi. Nous marchons depuis 7 heures du matin, et nous sommes heureux que Maurice nous propose de nous ramener, vers Hané, dans la voiture qui lui sert à faire la navette entre le village et l'école de Hané avec les enfants. C'est l'occasion de retrouver Patricia, juste avant qu'elle parte pour les précessions de prières. Elle sait que nous partons demain, elle nous a pris du pain. Pour ne pas que nous l'oubliions, elle nous offre, l'une de ses oeuvres. Une marmite en bois de rose complètement sculptée. De notre côté, nous lui offrons des cadeaux qui font pétiller ses yeux.

Les larmes montent au bord des paupières. Nous retournons au bateau, les sacs chargés de fruits. Jamais notre Etoile en aura autant embarqué, tout les casiers et contenants sont plein. Les "au revoir" sont difficiles, mais notre mémoire leur restera fidèle.

Cette île est belle, mais son âme est incomparable...

A plus pour des nouvelles de Nuku Hiva
Nat et Dom
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