Marquises_Hapatoni_preparation d un jour de fete_txt

EtoileDeLune
nathalie & dominique cathala
Mon 27 Sep 2010 22:26
Objet : lorsque l'Aranui est attendu, tout le village de Hapatoni est en effervescence et se met en quatre pour accueillir ses hôtes. Nous avons eu la chance de nous immiscer dans ces heures de préparation.

Bonjour,

Depuis mercredi dernier, le village d'Hapatoni se prépare à recevoir les hôtes de l'Aranui, ce cargo-paquebot trimbale dans le Pacifique inter-îles marchandises indispensables et 200 touristes. L'Aranui fait partie du décor des Marquises depuis une trentaine d'années, il est fêté à chacune de ses venues. Il exécute un roulement entre Tahiti et les Marquises toutes les trois semaines, environ 16 voyages par an. Les insulaires sont attachés à ce poumon qui insuffle la vie dans leur espace reculé. Et les croisières ont tant de succès que les cabines, couchettes et suites sont louées plus d'un an à l'avance.

Depuis que nous sommes arrivés aux Marquises, nous avons assisté à plusieurs débarquements de visiteurs. Et chaque fois, nous ressentons la même émotion. Les gens qui décident de faire un voyage sur ce bateau ont tous ce même comportement sincère et curieux. Ils ne sont pas à confondre avec les "croisiéristes" des gros paquebots. Ils ne cherchent pas ce type de voyage, où l'on part pour l'intérêt des animations à bord, peu importe l'endroit où ils naviguent. Les hôtes de l'Aranui sont portés par le réel intérêt de vivre une expérience unique. Ils vivent à bord avec l'équipage qui en majorité est Marquisien. Dans chaque île des Marquises, ils assistent aux débarquements des denrées tant attendues, des meubles pour une nouvelle maison, du ciment pour la bâtir, la poussette du petit ange qui fleurit la maison de ses gazouillis...

Et puis, outre ce chambardement de marchandises, les touristes vont à la rencontre des insulaires.

Les voyageurs découvrent l'identité ma'ohie déclinée dans l'art marquisien. Chaque île s'est spécialisée dans un savoir-faire. A Fatu Hiva, ils retrouvent les dernières faiseuses de tapas. A Hiva Oa ils partent à la rencontre des plus grands tikis d'Océanie, de Jacques Brel et de Gauguin. Ici, sur Tahuata, ils vont à la messe dans la très belle église de Vaitahu et à Hapatoni, ils pénètrent l'antre des meilleurs sculpteurs des Marquises Sud.

Samedi après-midi, nous débarquons au petit quai du village, d'habitude baigné d'une douce sérénité, il est animé d'une effervescence peu commune. Les enfants jouent aux «mutoi et voleur» (gendarme et voleur). Ils nous mettent en joue de leur pistolet en plastique. Des cris de joie couvrent les résonnances des fraises de dentistes. Outils utilisés par les sculpteurs pour façonner leurs oeuvres, sur des os de boeuf, de cheval, de cochons, rostres de merlin ou d'espadon, essences tels le santal, le tohu, le bois de rose... Teoho, une jeune femme, dont le prénom signifie "Aurore", cueille avec sa fillette les feuilles de tiarés pour les quinze maisons de sculpteurs qui confectionneront chacune 12 couronnes qu'elles offriront aux hôtes de l'Aranui.

Deux femmes sont affairées. Dominique dessine sur un rostre de merlin des figures de tiki, des tortues tatouées aux formes géométriques typiques des Marquises. Son amie, Sarah, nous interpelle, elle travaille des bijoux en os.

Elles font toutes deux parties de l'association qui a pour but d'accueillir les touristes ou d'organiser les fêtes pastorales. Elles se définissent comme les "femmes tout terrain". Elles jouent de la guitare, chantent, préparent les cocktails, nettoient le village et le me'ae (lieu de culte ancestral). Elles tressent les palmes des cocotiers pour couvrir l'espace communautaire et le rendre "beau" pour l'arrivée de l'Aranui. Tout en nous offrant des gâteaux au chocolat, elles nous parlent de la vie du village. Et aussi de leurs soucis à devoir tout préparer. Devant la charge de travail, elles ont demandé aux responsables de l'Aranui de ne plus amener les touristes qu'une fois sur deux :
«Trop de travail!» souffle Sarah, les joues gonflées.

Voilà nos Marquisiens grandeur nature : «Demander à moins travailler, à moins drainer de touristes, seule source économique de leur village ». Si les touristes sont une manne financière, ils sont aussi source de bouleversement. Les Marquisiens, lorsqu'ils voient l'étranger arriver, ne pensent pas forcément à ce qu'ils pourraient gagner, mais à ce qu'ils vont perdre: leur tranquillité. En réalité, leur âme se baigne dans les principes les plus essentiels de l'épicurisme. Ils ont organisé leur vie depuis deux mille ans, sans personne, n'attendant personne et profitent d'une nature généreuse. Très généreuse! Une dame nous disait :
«Ici, il n'y a personne de pauvre, personne n'a faim, si tu en trouves un, c'est qu'il est fainéant !»
Les Marquisiens aiment leur vie microcosmique, ils se sentent protégés de tout ce qui touche le reste du monde, et ils n'ont aucune envie que ça change. Pour autant, lorsque les touristes sont acceptés, ils sont accueillis EN GRAND!

Nous avons de la chance, aux yeux des villageois, nous sommes considérés comme un trait d'union. Un peu moins touristes que ceux qu'ils attendent, et ils commencent à se confier à nous, à discuter, à s'inquiéter de notre bien-être, nous demandant si nous avons assez de fruits, et si nous ne manquons de rien... Dès qu'ils sont rassurés, ils nous conseillent de venir une ou deux heures avant l'arrivée de l'Aranui, pour participer à "la mise en place".

Nous serons à l'heure, dès le lendemain... et nous vivrons l'une de nos plus belles journées aux Marquises.
A demain, pour vous compter cette journée "ambiancée"...
Nat et Dom
www.etoiledelune.net