Marquises_ Fatu Hiva_HISTOIRE et Ressources naturelles_196

EtoileDeLune
nathalie & dominique cathala
Fri 28 May 2010 00:09
Objet : C'est aux Marquises que la toute-puissance des Maohis s'est révélée et a rayonné jusque dans les archipels lointains d'Hawaï ou l'île de Pâques. Pendant plus de mille cinq cents ans, ils ont su tirer profit de ces terres volcaniques jeunes et généreuses pour y établir une civilisation florissante. Puis, l'Européen est arrivé, il a changé la donne... Et aujourd'hui... de quoi vivent-ils?

Kaoha,

En voyant ces bouts de terres pas plus grosses que des têtes d'épingle à l'échelle du monde, on peut, légitiment se demander de quoi vivent les Marquisiens. Qu'est-ce qui les fait rester sur le territoire de leurs ancêtres? C'est une question très occidentale, qui contient dans chaque mot tous nos repères actuels de technologie et d'économie de marché. Pour y répondre, il faut effacer le tableau où sont inscrites nos valeurs, et comprendre ce que fut l'aura des Maohis aux Marquises.

D'après les historiens, les Marquises furent le premier archipel peuplé par les Maohis en Polynésie centrale. Leur implantation date de 150 à 200 avant Jésus-Christ. Des fossiles de Ua Pu tentent à prouver cette antériorité. La nature fut plus généreuse ici que nulle part ailleurs. La civilisation « marquisienne » rayonna au-delà des frontières de l'archipel et essaima sa population sur les îles de la Société, Hawaï, l'île de Pâques et jusqu'en Nouvelle-Zélande.

Lorsque Alavaro Mendana, commandité par la couronne espagnole, plante l'ancre pour la première fois aux Marquises, le 21 juillet 1595, il découvre la "sublissime" baie de Omoa sur l'île de Fatu Hiva. Son second Pedro Fernandez de Quiros décrit leur arrivée : "Soudain, d'une baie située à côté d'aiguille rocheuse, apparaissent soixante-dix petites pirogues de tailles différentes (...), mais certains approchent même à la nage et d'autres sur de simples bois flottants. On peut compter environ quatre-cents Indiens à la peau presque blanche et de belles statures, grands, robustes, forts..." (Extrait de "Le voyage en Polynésie - Jean-Jo Scemla)

La rencontre qui s'en suit ne se passe pas tout à fait sous les auspices du mythe du bon sauvage annoncé par Vespucci lors de sa découverte de la côte Est du Mundus Novus. Les fiers guerriers tatoués d'Omoa affrontent, inconscients de leur portée, les fusils aveugles des Espagnols. Mendena propage si bien le sang et la mort que les Marquisiens en parlent encore. Les Espagnoles lèvent rapidement l'ancre de Omoa et répandent leur politique sanguinaire à travers tout l'archipel qu'ils nomment « Marquises de Mendoza» en l'honneur de l'épouse du vice-roi du Pérou. Les Espagnols se détournent de ces îles où la population n'est qu'à leurs yeux qu'un ramassi de sauvages sans intérêt.

Cet épisode doit laisser nos Maohis, pantois.
Mais, pendant presque deux siècles, les Marquisiens sont tranquilles et peuvent s'adonner en toute liberté à leurs rites anthropophages, à l'adoration de leurs dieux Taaroa et Oro dans les Marae (sanctuaires). Ils suivent aussi les préceptes des arii (prêtres) qui mènent des cérémonies aux moeurs extrêmement débridées. Ignorants d'une morale religieuse, inventée en Occident, les Maohis vivent ce que nous prenons pour des « abominations» dans la plus parfaite harmonie. La vie douce coexiste avec des raids guerriers où les perdants se font manger. Sous le couvert de leurs croyances, les sacrifices humains et certains actes érotiques ou matrimoniaux se passent naturellement en public.

C'est dans ce contexte qu'arrive la deuxième vague d'Européens, que sont les Anglais, et les Français. Pour cette fois, ce ne sont pas les militaires qui s'installeront, mais des aventuriers et des découvreurs. Si certains sont avides de décoder un monde qui leur est inconnu, leur engouement pour ces civilisations différentes est rapidement relayé par la détermination des missionnaires à soumettre la population aux lois du Christ. Les hommes d'église ne voient dans ces archipels qu'un immense lupanar océanien. Le pouvoir des « maîtres du jouïr» est battu en brèche par une arme redoutable : la croix. Les missionnaires la plantent partout et jusqu'au coeur des Marae (sanctuaires païens).

En quelques décennies, les Européens éradiquent la culture maohie des Marquises. Ce qui donne lieu au pire ethnocide que l'Océanie ait connu. Si les premiers navigateurs estimèrent la population à 100 000 insulaires, ils n'étaient plus que 6000 en 1872, 3000 en 1911 et 2200 en 1930! Plusieurs facteurs sont parvenus à une telle hécatombe. Les mortelles maladies venues d'Occident, mais aussi le manque de liberté culturelle a tout simplement coupé l'envie de faire des bébés!

Il faut dire qu'avec l'arrivée des Anglais et puis des Français, les Marquisiens ont trouvé la vie beaucoup moins ludique! Nos « bons» religieux de tout bord et de toute obédience s'entendent pour habiller les vahinés de robes justement nommées « missionnaires». Ils interdisent les sacrifices humains, les tatouages, ils brûlent les tikis, et ils mettent si bien de l'ordre dans les têtes des Maohis, qu'ils sont soudainement frappés d'amnésie. Seule leur faculté de chanter est gardée pour les offices où les chants païens sont remplacés par des « himene».

Il ne reste plus aux Marquisiens qu'à regarder sa rivale, Tahiti, prendre de l'ampleur et à se contenter d'une vie douce et généreuse que leur offre leur terre. Il suffit en effet de se baisser ou de grimper pour récolter la nourriture. Les agrumes y sont les meilleurs de toute l'Océanie. Les racines alimentaires, tel le taro, l'igname poussent aisément. La coco fait partie du quotidien. L'arbre et le fruit sont utilisés à chaque phase de leur vie. Les ancêtres ont amené avec eux, cochons, chiens, chèvres qui se sont reproduits dans les montagnes. La chasse est périlleuse, mais elle permet de nourrir toute la communauté. Le produit de la pêche sert pour ce qui est indissociable du kai kai marquisien : le poisson cru. Personne jamais ne meurt de faim, la nature sert aussi à construire les maisons, à s'habiller. Tandis que la civilisation maohie des Marquises sombre dans l'oubli, la population s'installe dans une toute catholique autonomie.

Au vingtième siècle, les Marquisiens furent encore longtemps à l'écart du système économique. Vivant d'échanges et se suffisant des bienfaits de la nature. Puis peu à peu, des initiatives, tel le passage régulier de l'Aranui ont connecté les Marquises au reste du monde. Les insulaires ont accédé à certaines formes de confort. Leurs maisons ne furent plus construites de pandanus, de bambou, d'écorces et de troncs d'arbre. Peu à peu, le ciment, la tôle sont apparus. Puis le reste est arrivé : machine à laver, voitures, télévision...

Si depuis une trentaine d'années, le mode de vie marquisien a beaucoup évolué, il est pourtant encore très loin des carcans occidentaux. Les maisons de bois, livrées aux familles par des subventions gouvernementales ne sont pas pour autant aménagées comme on le penserait en Occident. Les Marquisiens se suffisent de peu : quelques matelas, rarement des tables ou des sièges. Lorsque l'on rentre dans les farés ce qui étonne, c'est le dénuement. La Vierge aura sa place, sur une petite table, les murs se transforment en véritable album photo de la généalogie familiale. Une machine à laver restera aux intempéries, dehors. Le réfrigérateur pour la plupart en panne, sert de garde-manger ouvert aux quatre vents. La famille se retrouve à manger à terre, rarement avec des couverts. Tous les foyers n'ont pas de voiture, quelques uns possèdent des barques motorisées. Ce n'est pas le grand luxe, pas le grand dénuement. Et tout semble leur convenir, ce qui est le principal.

Le bien-être économique est acquis grâce à plusieurs sources financières. Le gouvernement polynésien engage pour une durée de quelques mois et maximum de deux ans, des travailleurs afin de défricher des parcelles de terrains ou de bétonner la seule route de l'île. Un mi-temps est payé 85 000 francs pacifiques (714 euros). Les allocations familiales permettent de subvenir aux besoins de chaque membre de la famille. Il n'y a pas en Polynésie de système d'impôts sur le revenu. C'est pour cela que les marchandises sont si chères, les impôts sont prélevés sur le produit des ventes.

Les familles possèdent toutes un bout de terrain, voire de grands pans d'île où ils récoltent la coco, le noni, les agrumes, les bananes. Si hors passage de l'aranui la pratique est de donner (même aux étrangers) les fruits mûrs, lors du passage du cargo, ils sont vendus pour les marchés de Papeete, ainsi que le produit de la pêche et de la chasse.

Le gouvernement de Tahiti tente d'enrayer l'exode des Marquisiens vers Tahiti. On a coutume de dire qu'il y a plus de Marquisiens hors des Marquises qu'au sein de l'archipel. Pour garder les Marquisiens aux Marquises, des subventions importantes sont octroyées pour la vente du coprah et du noni. Le sac de coprahs des Marquiqes est échangé à l'un des cours les plus élevés au monde. Le kilo est payé 100 francs pacifiques aux insulaires par l'huilerie de Papeete qui en tirera l'huile de monoï.

Le Noni est une autre ressource financière des Marquises? C'est un fruit de la taille d'une poire, les Marquisiens en remplissent des bidons entiers qu'ils expédient à une entreprise pharmaceutique de Papeete. Là, il est traité pour devenir un médicament.
Que soigne ce médicament?
Au dire des Marquisiens « à peu près tout!».

A plus, pour d'autres tableaux des Marquises
Nat et Dom
Ce sujet sera repris dans le dossier Polynésie du site internet www.etoiledelune.net