Marquises - Jour 4 - Position 9° 39.2' S - 139° 22.5' W

Canopus 3 on the Blue Water Rally
Jean Michel Coulon
Thu 27 Mar 2008 10:25
Moi, Michel:
Lundi 24 18h00
Nous sommes mouillés à Hiva Oa à l'abri d'une jetée et donc un peu à l'abri, nous espérons, de la houle d'Est, la baie de Tahuku à Atuona. Et ce soir nous allons diner en ville!
Tahuata est une ile très sauvage quand on l'aborde par le sud ouest, des falaises dénudées battues par les flots. La côte ouest est plus verdoyante, des vallées cloisonnées s'y ouvrent et il y a un ou deux villages cachés dans les cocotiers au ras de l'eau. Plusieurs baies avec de belles plages blondes et leur frange de cocotiers, infestées de nonos parait-il. Sur l'une, un panneau bleu" Propriété privée TABOU"... On s'arrête dans celle de Vaitahu pour une petite baignade, un des meilleurs coins de snorkeling des Marquises plutôt pauvres en la matière, selon un de nos guides. On a du mal choisir l'emplacement: du sable et pas les coraux promis, des nuages de spores ou quelque chose comme cela en déplacement et bouchant la vue: où sont les requins?
C'était agréable en tout cas de se jeter dans l'eau pour la première fois depuis 20 jours et on est content de remonter à bord! La baie magnifique, citée par le guide Charlie's Charts of Polynesia de Robby, est une jolie plage de sable blond, bordée de cocotiers, encadrée de roches avec de beaux moutonnements s'élevant doucement vers les crêtes. Je suppose que le premier admirateur avait navigué le long de la côte sauvage particulièrement farouche et dénudée et cette baie lui ayant remonté le moral se serait embellie dans ses souvenirs.
On passe au large de la pointe Nord et on aborde vent debout, au moteur, le Canal du Bordelais qui sépare Tahuata de Hiva Oa. Une houle sèche qui secoue et mouille le bateau. On croise Fine Fleur en route pour Nuku Hiva qui nous
donne par radio quelques tuyaux sur Hiva Oa et notamment un restaurant qui s'est révélé assez calamiteux.
Mardi 25 mars
Ayant quitté l'Espace Gauguin sans le visiter à cause de la fermeture du déjeuner - on est en France - après avoir fait le repérage des magasins du coin et reconstitué le matériel de pêche, nous sommes allés déjeuner au 0a Hannakee Pearl Lodge Hotel. Perché sur une pente au-dessus de l'anse dans laquelle Canopus est mouillé, il fait face au mont Temetiu, avec une vue qui s'étend sur toute la baie de Taaoa (le reste de l'ancienne immense caldeira). Accueil très sympathique, le directeur de l'hôtel, un métropolitain, vient bavarder avec nous, avec un oeil réaliste sur la manière dont ces iles fonctionnent (mais sa manière de dire qu'il suffit de lancer une ligne pour pêcher un thon agace Jean-Michel très déconfit de nos mésaventures bredouilles). Le déjeuner plait suffisamment à Robby pour qu'il suggère de ne pas tenter d'autres expériences et que nous revenions y diner le soir. Et en payant l'addition, il obtient la réduction de 20% accordée aux participants du tour du monde organisé par l'ARC, une organisation concurrente de Bluewater Rally, qui ont établi leur base sur Hiva Oa!!!
A bord de notre minuscule 4X4 Suzuki, capote arrière décapotée, Jean-Michel les cheveux au vent, nous repartons downtown, tournons à la gendarmerie et montons, comme il se doit pour les touristes français et belges venant
visiter l'ile, au cimetière du calvaire où se trouvent les tombes de Jacques Brel et de Gauguin par une petite route bétonnée bordée de maisons et maisonnettes coquettes aux jardins fleuris. Nous trouvons vite celle de Gauguin ornée d'Oviri et de quelques colliers de fleurs desséchés déposés par des passants. Austère et massive, en basalte rouge, le bronze Oviri frêle et magique, et solidement boulonné sur son socle. Puis nous explorons les différentes terrasses du cimetière qui s'étagent le long de la pente. Comme toujours des tombes simples, toutes blanches en ciment
contrastant avec d'autres bordées de basalte noir, et quelques chapelles plus ou moins tape-à-l'oeil. Petit exercice digestif. Une glissade, chute de Robby qui se claque un muscle de la cuisse. La tombe de Jacques Brel était en fait cachée dans le bosquet immédiatement à l'entrée du cimetière. Il s'y est fait représenter avec sa compagne Madly, tous les deux en figure. Mais elle n'est pas encore là.
Ensuite nous sommes partis pour l'autre bout de la baie jusqu'au petit village de Taaoa. Le chemin finit sur une plage de gros galets noirs assez rébarbatifs, avec un surf rapide qui résonne sèchement, fermée par une paroi
verticale qui avance dans la mer. Personne! Nous remontons et allons à l'église, un petit bâtiment typique dans les iles, au toit pentu couvert en bardeaux. Un vieillard prend le frais à l'ombre du porche et nous remet sur
le chemin du pae pae de Taaoa Upeke. La route plus étroite, toujours bétonnée, passe après les maisons du village dans des plantations, des poulets traversent la route sans grier gare, des petits chevaux, le plus souvent
noirs, paissent de loin en loin dans les fossés, attachés par un licol. Puis elle s'enfonce dans la montagne, à travers une forêt de plus en plus touffue et luxuriante. Odeurs de fermentation végétale, humidité, mystère, c'est comme
un chemin d'initiation avant d'arriver au pae pae. S'étageant sur la pente, des terrasses faites de gros blocs de basalte noir grossièrement taillés et juxtaposés, avec quelques plateformes éparses et fosses à l'usage mystérieux. Tout en haut, Jean-Michel découvre un des deux tikis annoncés, des lignes tracées dans la pierre dessinant une figure rudimentaire. La solitude du lieu, la taille imposante de ces constructions, les immenses banians qui les surplombent et que leurs racines démantibulent... tout cela en fait un endroit magique.
Mercredi 26 mars 20h
Aujourd'hui, Jean-Michel qui a le pied plus marin que terrien s'est désisté pour l'excursion prévue à Puamau à l'autre bout de l'ile, ayant plein de courriers en retard et de bricoles à faire. Nous voici donc partis, Robby et moi dans notre petit 4X4 Suzuki, dument décapoté. La route devient une piste en plus ou moins bon état, une fois passé l'aéroport (une piste d'atterrissage installée sur une crête basse, aplanie au bull, avec du vide de chaque côté), qui passe d'abord à travers une belle forêt de pins très Eaux et Forêts, puis suit les crêtes et dévale dans les vallées dès qu'un village ou hameau est installé au bord de l'eau. Il pleut quelques instants, le soleil revient, les lacets se succèdent, descendent, remontent, les pentes sont recouvertes d'une végétation dense ou clairsemée selon l'orientation aux vents dominants, on aperçoit la mer en bas d'à-pics de plusieurs centaines de mètres ou on la longe dans des villages aux maisons toujours propres et fleuries, avec leur petite église blanche, leur terrain de volley ou de foot. De temps en temps un bulldozer au repos ou au travail, la piste est plutôt bien entretenue et aujourd'hui en tout cas elle est sèche, malgré quelques flaques dans les nids de poule qui la parsèment. Dans la foulée nous dépassons Puamau sans nous en apercevoir - un village de plus sur la route et très grande rareté des panneaux indicateurs. On revient sur nos pas. Achat d'un casse croûte et direction le ma'ae de Puamau: bien reconstitué, panneau explicatif, de beaux tikis ... beaux arbres, plus intéressant mais moins magique que Taaoa.
Retour à plus vive allure, Arrêt espresso au Pearl Lodge, toujours avec nos 20% de réduction ARC. Quelques courses de complément, visitons le pavillon Gauguin, bons panneaux décrivant sa vie et son cheminement de peintre; aux murs, car c'est grand, 60 ou 80 reproductions de ses tableaux, des huiles sur toile faites par un local peu prometteur, des vidéos juxtaposant des images et des animations retraçant quelques épisodes de sa vie assez surréalistes, plus, dans une vitrine, les seuls objets authentiques: quelques tessons de terres cuites et autres débris retrouvés dans le fonds de son puits... Et à côté, sa case reconstituée aux dimensions exactes - le "pavillon du jouir" - et son puits.
Là nous avons repris la mer en ayant quitté Hiva Oa vers 17h, le vent est bon et pour ne pas arriver trop tôt à Nuku Hiva - qui est à 67 milles seulement à l'instant, on n'a mis que la grandvoile!
Départ assez chahuté, car après avoir bien arrimé l'annexe aux bossoirs, et comme Jean-Michel voulait par précaution prendre du gazole et qu'il fallait se présenter de l'arrière perpendiculairement au quai, on a donc tout défait, libéré l'annexe, préparé deux amarres pour se retenir, et quand enfin on est prêt, le patron de la station (qui sert aussi les voitures et camions de l'ile) nous déclare qu'il ne peut donner que 40 litres - il nous en fallait 2 ou 300 pour refaire le plein! Ce serait un effet de la grève des transporteurs d'essence à Tahiti (!) qui affecte l'approvisionnement des iles... On a donc relevé l'ancre et pris la route de sortie vers le Canal du Bordelais, re-lové nos amarres, rentré les défenses, rehissé et ré-amarré solidement l'annexe sur ses bossoirs en pestant contre ce mouillage de m..., "le pire que j'ai connu depuis mon départ", dit JM, qui a très mal dormi ces deux dernières nuits, se relevant une ou deux fois pour réarrimer l'annexe qui cogne contre sa cabine à cause de la houle du large qui vient secouer les bateaux au plus profond de l'anse abritant le port.
Le temps d'écrire cela, le vent est tombé, nous voici au moteur.
 
(JM, minuit)
Non, le vent est revenu, j'ai même pris deux ris pour éviter d'arriver trop tôt à Nuku Hiva. Il vaut mieux arriver de jour pour mouiller dans la baie.
Oui, c'est vrai, j'ai horreur des mouillages "rouleurs". Et celui de Hiva Oa est un record. La baie elle-même est orientée vers l'est, cad vers les vents dominants, le port est vaguement fermée par une petite jetée et le résultat se voit sur la photo ci-dessous: la grande houle du Pacifique se brise sur les rochers à quelques dizaines de mètres de Canopus !