Escale à Gibraltar
Planète Rouge II
Daniel CANTINEAU
Thu 5 Jul 2012 23:54
Jeudi 5 juillet 2012, 23h50 (hl)
Gibraltar est certes un rocher mythique, un
détroit très encombré (100 à 200 bateaux par jour), un abri sûr par quasiment
tous les temps en plus d'une escale idéalement placée sur notre trajet,
pourtant, vue de la mer à l'arrivée la ville est moche, de nombreux immeubles
assez laids bordent tout le bas du rocher et le port industriel et la rade sont
saturés de grands cargos plus ou moins sales. La marina n'a rien d'exceptionnel
au premier abord mais on sent que c'est un noeud de passage et d'activité. Pas
moins de quatre postes d'essence le long d'un grand quai, quelques très gros
motor yachts, un port plein à craquer. Malgré celà nous parvenons après
discussion à trouver une place pour une nuit. Les anglais sont extrêmemnt
policés, pas toujours très chaleureux mais souvent de bons marins qui ont de la
considération pour les gens qui naviguent.
Martine et moi après un resto d'adieu à nos
équipiers avons pris le cable-car pour monter au sommet du rocher. La vue y
est superbe sur la rade, la mer, la piste d'aéroport, la linea de
séparation et la plaine côté espagnol. Les inévitables singes vous passent
presque entre les jambes, ils sont entretenus, nourris, vaccinés et il est
interdit de les toucher ou de les approvisionner, il faut garer son sac, ils
savent ouvrir les fermetures éclair et ne pas montrer de sac plastique assimilé
à de la nourriture qu'ils auraient tôt fait de vous subtiliser avec aggressivité
si nécessaire, cela n'a plus grand chose de naturel ou de sauvage mais le mythe
est préservé.
Pendant la journée l'aéroport est le siège d'une
intense activité civile et militaire. Trois avions de chasse décollent et
atterrissent à plusieurs reprises dans un grondement superlativement dantesque,
toute la marina en tremble, la vie s'arrète pendant les quelques secondes du
décollage. Ils sont suivis par un casa quadrimoteur turboprop à peine moins
bruyant qu'eux. Un quart d'heure plus tard un vol commercial atterrit puis
unavion d'affaire se pose. Après chaque décollage ou atterrissage, les barrières
s'ouvrent et voitures et piétons traversent la piste dans les deux sens, tout
cela est bien rodé. On a quand même l'impression que les anglais prennent un
malin plaisir à leur démonstration militaire bruyante à destination de leur
grand et amical voisin espagnol qui n'a jamais tout à fait renoncé à
réclamer l'annexion de Gibraltar à l'Espagne.
Sur le bord de l'eau côté marina, tout un village
"Ocean village" se développe le long des quais et sur des pontons sur pilotis
avec moult bars, pubs, restaurants, un casino, des immeubles
résidentiels qui en font un lieu attractif et agréable à arpenter. Plus loin le
long des quais commerciaux ce ne sont qu'immeubles de bureaux liés au statut
privilégié de Gibraltar, zone franche hors taxes, haut lieu de commerce
international qui sent l'argent et l'opulence et attire les nombreux espagnols
qui viennent y travailler. Le gasoil est hors taxes, on paie tout
en livres sterling, on roule à droite et la marina n'est pas
chère.
Un peu caché en arrière, la vieille ville est
absolument délicieuse avec des maisons anciennes jolies avec balcons ouvragés et
couverts, un style souvent mauresque, des petites rues piétonnes bordées de
maisons et pubs avec fenêtres à petits carreaux soulignés de vert foncé ou de
noir, c'est l'Angleterre classique victorienne qui se retrouve ici, c'est très
réussi. Nous n'aurons pas hélas le temps de visiter beaucoup plus car le
sommeil nous tombe dessus et demain nous repartons à deux avec des quarts
fatiguants et rapprochés en prévision.
Olive sur le couscous, la construction la plus au
sud de l'Europe, à la punta Europa, c'est à dire à l'extrême pointe du
rocher au bord du détroit, est une petite mosquée fine et blanche que l'on
contournera lors de notre départ.
On repart donc le mercredi 4 juillet à 17 heures
car nous avons dormi toute la matinée, fait quelques rapides courses pour le
frais, repréparé le bateau, les pleins, les petites réparations et mises au
point et l'indispensable météo. Il faut partir sans s'attarder car nous aurons
du vent d'ouest pendant deux jours, au portant donc puis le vent s'inverse et
nous l'aurons de face et les vagues qui vont avec. On sort de la rade avec 23 à
27 kt de vent et les deux premiers jours vont être assez musclés. Vent plein
arrière, embétant à gérer, sous génois seul. On passe son temps à prendre des
ris dans le génois puis renvoyer de la toile, passer d'une panne à l'autre
(changer le foc de côté) tellement le vent est instable en direction et en force
passant de 18 à 30 kt et même 34 dans la nuit. On aura fait 157 miles en 24 h en
virant le "cabo de Gata" (traduction supposée : le cap de la chatte) qui marque
la fin de la mer d'Alboran et le début de la remontée vers le nord de l'Espagne
et le golfe du Lion. Et puis ce soir vers 20 heures on passe de 30 kt à rien,
2-5 kt plus rien pour souffler nos voiles et donc moteur pour toute la nuit
et nous avons quitté la zone des cargos. Un malhonnête de motor yacht de 50
m nous a coupé la route cette après-midi, nous étions sous voiles donc
prioritaires pour manoeuvrabilité restreinte mais à moins de 100 m la route de
collision était évidente mais ce sale type des mers n'a pas daigné bouger et
nous a contraint à un virement de bord de dernière minute, j'ai été l'insulter à
la radio mais je n'ai obtenu qu'un 'repeat again' ; docilement je me suis
exécuté, je lui en ai remis une louche mais seul le slence m'a répondu.
Visiblement certains marins pensent que les règles de barre et de route ne sont
pas faite pour eux, les plus petits s'écartent devant les plus gros,
point-barre.
Sauf imprévu météo ou grosse
fatigue, nous allons faire route directe sur Canet ce qui nous prendra 5
jours et nous donne une arrivée le 9 en fin de journée ou 10 au matin
selon la volonté d'Eole. Il y a 660 Nm entre Gibraltar et Port Leucate qui est à
deux heures au nord de Canet.
Je vais arrêter ce long billet ici et
continuer mon quart de nuit, je fais les heures centrales de la nuit et Martine
reprend le quart au petit matin. Jusqu'à maintenant depuis Gibraltar avec le
fort vent et la mer levée, on a peu et mal dormi par petits morceaux, le
calme de cette nuit devrait permettre un meilleur sommeil dans la cabine et
moins de travail sur le pont.
A bientôt
Daniel
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