nos trois premiers jours, en détail ...

Arafura
Tue 12 Oct 2010 08:39
9.53.6s 109.45e

Samedi 9 oct : Pétole et obscurité

Départ aux premières lueurs du jour, vers les 6h. Tout est enfin prêt. On se réjouit de naviguer enfin. Nous mettons le cap sur « Christmas Island », à 560 milles nautiques de Bali. Le seul problème, c’est l’absence de vent. Toutes ces lenteurs administratives nous ont retardées de près de 4 jours et il faut maintenant partir au plus vite avant l’arrivée de la mousson et des alizés faiblissant. Il fait gris. Nous mettons le moteur pour sortir de la baie, mais nous le garderons finalement pendant près de 5h. On se croirait sur notre lac avec néanmoins une grosse houle qui met ma résistance au mal de mer à rude épreuve. En essayant de trouver la moindre risée et d’en profiter au mieux, nous faisons un petit check météo : pas génial, vent très faible sur les 200 premiers kilomètres, une distance infinie pour ce bateau. On risque bien d’atteindre Christmas Island pour Noël…

Quelques dauphins « gambadent » autour du bateau, ce qui nous laisse contemplatifs comme des gamins devant l’usine Haribo. Nous essayons de faire le même bruit que l’appareil utilisé par les deux rouquins dans « Flipper le dauphin », la série culte, mais les copains de Flipper s’éloignent doucement. Des poissons volants fuient sur notre passage. Ils parcourent plusieurs dizaines de mètres à ras l’eau puis s’écrasent contre une vague. Nous nous relayons à la barre toute la journée et la nuit commence à tomber alors que nous commençons à maudire tous les gens qui nous ont retardés lors de nos préparatifs.

Avec la nuit, un autre problème imprévu apparaît : l’absence de lune cette nuit là. Le ciel couvert ne nous aidera pas à y voir plus clair. C’est le noir total et le mouvement du bateau généré par les vagues devient pour moi insupportable. J’ai l’impression d’être dans un Luna parc avec les yeux bandés ou dans le coffre de la voiture de mon père dans le col du Marchairuz.. Nous enfilons les gilets-harnais et attachons notre ligne de vie. Une chute hors du bateau avec cette obscurité serait malvenue. Et ce vent toujours absent.

L’attente est longue et nous remarquons la présence d’éclairs. Nous ne savons pas si nous devons nous sentir rassurés de toucher un peu de vent ou pas. La pluie commence à tomber. Pour un fan de mauvais temps comme Laurent, ce n’est pas dérangeant. Le vent forcit et nous sommes contraints de rouler un peu la grande voile. Il suffit simplement de choquer un peu d’écoute et de border la corde enroulée autour du mât pour que celui-ci tourne sur lui-même et enroule le guindant de la voile. Ca fait du bien d’avancer un peu autrement qu’avec un moteur mais dans le noir avec la houle et le vent, on ne fait pas trop les malins. Cette nuit-là, on notera aussi la présence d’un grillon ou d’un insecte de ce genre là, vers l’arrière et ce grincement perpétuel sera éliminé dès le lendemain matin.

Di 10 oct : Tuning d’Arafura

Plus on navigue et plus je me dis qu’on se traîne vraiment trop. Oui, je suis habitué à la vitesse des D35 qui décollent à la moindre crise d’aérophagie du barreur mais quand même ! Je pense (après l’abandon de l’anémomètre cassé embarqué à bord) qu’il y a entre 6 et 7 nœuds de vent, et on avance à … 2 nœuds !!! J’ai l’impression de naviguer sur une caravane tellement c’est lent. On pourrait se faire dépasser par des enfants en Optimist. Je ne supporte plus cette blague et nous décidons de déplacer l’eau potable du bord (100 litres) qui se trouvait à l’arrière vers l’avant. C’est Laurent qui se colle à la tâche puisque la cabine ne me verra pas les deux premiers jours tellement la houle me brasse. Et ça a l’air de marcher, on navigue maintenant à 3-4 nœuds, on repasse devant les Optimists !

Laurent, qui s’est nommé responsable cuisinière, a beaucoup de travail avec elle. Il s’agit d’une cuisinière à kérosène. Oui, oui le diesel pour avions si on veut bien. Cette cuisinière nous a déjà donné bien du travail à terre puisqu’il a fallu la démonter complètement, réparer la pompe qui compresse l’air dans le réservoir à kérosène et faire ressouder un tuyau qui fuyait dans un atelier de bric à brac indonésien. La particularité de ce genre de cuisinières est le préchauffage des buses. Il faut en effet mettre de l’alcool à brûler sur la buse, la faire aboyer en y mettant le feu (whouuuuu) en ne laissant pas les doigts trop longtemps et attendre 4 vraies minutes que la buse soit chaude. Après cette étape cruciale, on ouvre la vanne d’arrivée de kérosène et là deux scénarios possibles. Soit on a des flammes bleues, bien réparties autour du feu, tout va bien, c’est gagné, on peut cuisiner. Soit on a des flammes jaunes de 30 cm de haut, avec de la fumée noire, dans ce cas là c’est perdu, retour à la case départ en prenant le temps de laisser refroidir le tout. Laurent, donc, ce matin là a décidé de réparer le feu de droite qui n’a pas très envie de fonctionner. L’odeur du kérosène ne contribue pas à me sentir mieux et je continue de barrer au grand air pour ne pas repeindre le bateau. Le vent se lève, on a maintenant une quinzaine de nœuds et le bateau file à 7 nœuds. Entre-temps, Laurent a encore réussi sa mission et nous profitons des deux feux de cuisson.

Parmi notre panoplie de jouets pour passer le temps, j’ai téléchargé des « livres audio » sur mon i-Pod. Nous laissons de côté les dizaines de livres traditionnels du bord pour se faire raconter une histoire qu’il nous aurait parue ennuyeuse de lire. Pour cette première, c’est Guy de Maupassant qui est à l’honneur avec une courte nouvelle : « Le signe ». Et oui, on se cultive ! Ecouter cette histoire de femme qui trompe son mari quand on est à 20'000 km de sa copine, ça a de quoi nous foutre le moral dans les tongs.

La nuit se passera très bien avec du vent et un ciel découvert qui nous permet d’y voir un peu plus clair. On se relaye toutes les 2-3 heures et je tente enfin de dormir dans la cabine.

Lu 11 oct : un nouveau barreur

Le jour se lève, on est plutôt fatigué puisque le fait de se relayer 24h sur 24 à la barre depuis le début nous épuise et nous prend beaucoup de temps. Nous n’avons pas de temps pour lire, pour mettre à jour le site. Notre quotidien se résume par : barrer – dormir – faire à manger – manger – réparer ou bricoler.

Il y a un instrument à bord que l’on n’a toujours pas réussi à faire marcher. Il se nomme « Cap Horn », c’est un régulateur d’allure. En gros, il s’agit d’un appareil fixé à l’arrière qui se compose d’un plan aérien et d’un petit safran dans l’eau. Lorsque le plan reçoit du vent de gauche ou droite, il bascule et un mécanisme transmet la bascule au safran qui tourne dans l’eau. Avec la vitesse du bateau, le safran monte ou descend dans l’eau ce qui fait tourner une roue à laquelle est reliée la barre du bateau par des cordes. Ca paraît compliqué parce que c’est moi qui tente de l’expliquer, mais le système est tout simple, encore fallait-il y penser. Le bateau conserve donc toujours le même angle par rapport au vent. L’inconvénient de cet appareil est que si le vent tourne, le bateau le suivra. Il faut donc garder un œil sur le cap suivi. Après deux ou trois essais qui se solderont par des jurons dignes de ma sœur au volant, le régulateur fonctionne. Notre vie va s’en trouver bouleversée. Les deux premières heures nous surveillons le régulateur d’un œil suspicieux mais plus le temps passe plus nous avons confiance en cet outil incroyable. Nous nous retrouvons dès lors en cabine avec Laurent et nous savourons la liberté que notre troisième barreur nous autorise.

Les fruits et légumes embarqués commencent à tourner de l’œil. Les poivrons, les choux, les bananes, le maïs et les concombres sont aussi en forme que moi le premier jour. Laurent s’occupe d’achever les blessés et nourrit les poissons végétariens. Un autre chantier bricole est la lumière du compas qui ne fonctionne pas. C’est un élément essentiel pour la nuit. Cela nous éviterait de rallumer une lampe de poche à chaque fois qui nous aveugle et nous laisse éblouis pendant les 5 minutes suivantes. Laurent, encore une fois, démonte le compas et s’amuse sous la cabine à repasser les fils, dégainer des bébé-fils, la tête à l’envers, chose que je n’aurais pas pu faire à ce moment là. A la tombée de la nuit, les deux petites ampoules qui éclairent le compas sont enfin allumées. Bravo Laurent !

La nuit est assez longue pour Laurent, qui est couché à côté de la barre pour surveiller le régulateur et observer l’éventuelle présence d’autres bateaux. Il met des alarmes sur son téléphone toutes les demi-heures mais son horloge biologique le réveille à chaque fois une minute avant son réveil. Un pur suisse réglé comme une « Blanc-pain » (la modèle à 47'000 .-). Je me lève quelques fois pour lui demander si tout va bien et en acquiescant il m’invite à me recoucher, proposition que j’accepte sans discuter. Le vent se lève pendant la nuit, le bateau file à 9-10 nœuds sous régulateur et j’entends Laurent qui prend un ris. Les bruits dans le bateau s’atténuent, on n’entend plus le bateau rebondir dans les vagues mais simplement un glissement régulier. Je me rendors tranquille.