tout est dans la tête

Life on Patchwork
Wed 10 Nov 2021 22:57

Notre position à 23h UTC le 10  novembre 2021 : 19:35.0S 135:51.7W

 

 

Je prends enfin le temps de vous écrire un peu plus longuement. Nous entamons le sixième jour de navigation. Nous faisons cap à l’est à une vitesse moyenne de 5 a 6 noeuds.

 

Nous avons évoqué dans les précédents posts une zone orageuse, sans trop vous donner de détails. Voici donc : depuis bientôt 3 semaines, une tendance étrange est installée sur la Polynesie. Il faut se représenter une diagonale entre les Gambiers et les Iles Sous les Vent. Au nord-est de cette diagonale, les Alizés soufflent de secteur est, en passant nord-nord-est à l’aproche de la diagonale. Au sud-ouest, des vents dominants de secteur sud-ouest. Et entre les deux, à la rencontre, une zone d’instabilité ou (desolée, je sais qu’il faut un accent mais je ne l’ai pas sur mon clavier qwerty, ni dans ma petite réserve dans laquelle je copie colle une par un les lettres avec des accents) alternent orages, grains, et calme plat. Et cette zone se deplace d’est en ouest, et inversement.

 

En partant de Tahiti, nous étions en plein dans la zone d’instabilité, et nous avions repéré un créneau qui devait nous permettre de la dépasser et de pouvoir prendre des vents favorables. Mon récit de cette traversée et l’escale à Faaite ont prouvé le contraire. En partant de Faaite, c’était un peu le même pari, sauf que jusqu’à présent, ça a l’air de nous réussir! Nous avons vu des orages derrière nous les deux premieres nuits, alors que nous naviguions sous un beau ciel étoilé. Nous sommes passés entre les grains, au prix de devoir naviguer au moteur dans la pétole.

 

Depuis 48h, il semble que nous ayions atteint la zone des alizés de nord-est. Mais comme la zone d’instabilité est, par définition, instable et changeante, on se méfie un peu et on préfère s’en éloigner au maximum en faisant cap a l’est, au prés.

 

Ah, le prés… Je vais oser le dire : je n’aime pas ça. On gîte, l’avant du bateau tape dans les vagues, le ressenti du vent est d’autant plus fort que s’y ajoute notre vitesse… J’arrive aujourd’hui à l’admettre sans honte, et j’ai même réussi à m’y faire, me disant que ce n’ était pas si terrible et que de toute façon, c’était comme ça, qu’il valait mieux ça que des orages. Mais il en était tout autrement il y a deux jours…

 

Dans la nuit de lundi à mardi, je suis reveillée par de fortes secousses dans la cabine avant. Nul besoin pour moi d’aller à la NASA pour expérimenter la gravité zéro, lorsque l’avant du bateau monte sur une vague, je me décolle du lit, pour mieux m’y écraser comme une crêpe dans la seconde qui suit. Il faut aussi savoir que nous faisons des quarts de nuit, afin que l’un de nous soit toujours en veille pour surveiller le bateau, le vent et les éventuelles collisions. A tour de rôle, nous restons eveillés 3h, puis dormons 3h. La privation de sommeil est donc assez conséquente. C’est donc d’une humeur exécrable que je bondis hors du lit, prenant Thomas comme responsable de mon inconfort : après tout, il est de quart, il devrait faire les ajustements necessaires pour une navigation agréable. Il me dit que tout va bien, que l’on remonte bien au vent, m’invite à ne pas m’inquiéter. Je vais donc me recoucher sur le canapé, qui est sous le vent (ce qui fait qu’on y est bien calé!).

 

A 22h, je prends mon quart. 30 minutes plus tard, le vent forcit encore. La grosse houle couche le bateau, faisant bouilloner l’eau sur les passavents. La gîte est telle que je m’accroche à deux mains sur le plat-bord, pour éviter de glisser de mon pouf. Je déteste ça, et j’ai peur. Et là, double effet kiss cool. Je me juge d’avoir peur. Comme si cela ne suffisait pas d’ être aussi crispée, je rajoute à mon mal- être en me disant que je suis nulle, qu’une vraie navigatrie n’aurait pas peur, mieux qu’elle se rejouirait de voir le bateau ainsi filer a 8 noeuds. Je n’ai pas encore compris alors que le courage, ce n’est pas l’absence de peur, c’est son acceptation et son dépassement.

 

Je reveille Thomas (le pauvre il ne dort que depuis 30 minutes!) et l’appelle au secours : j’ai essayé d’abattre, ça n’y a rien fait, je suis très inconfortable, blablabla. Reveil violent pour notre capitaine! Il reste d’un calme admirable, analyse la situation, et me propose de larguer un peu d‘écoute de grand voile. L’effet est immédiat, on gîte déjà un peu moins. Nous nous attelons ensuite a enrouler un peu du génois. Le bateau gîte encore un peu moins. Je prends quelques instants pour resentir le bateau, je me sens mieux. Je pense pouvoir continuer à gérer, Thomas repart se coucher.

 

En analysant un peu la situation, nous étions sans doute un peu sur-toilés, et je me dis qu’à présent, objectivement, tout va bien. Mais la peur persiste. Alors je me mets à chantonner. Sur l’air de la berceuse “doux chaton” qu’affectionne particulierement Sheldon dans “the big bang theory’, j’invente les paroles suivantes :

 

Doux le vent

Douce la houle

On se calme un peu

On ménage Patchwork

Et son équipage

Doux,doux,doux

 

J’ai bien conscience que ce n’est pas en chantant que je vais faire se calmer le vent et la houle. Pourtant je trouve le côté incantatoire de la berceuse plutôt intéressant, et faire semblant d’y croire me donne l’impression d’avoir un peu d’emprise sur des élements dont je me sens à la mercie. En tout cas, l’air répété de la petite chanson parvient, sinon à calmer le vent et la houle, à me calmer moi.

 

Le lendemain, je présente mes excuses à Thomas, pour avoir perdu mon sang-froid et pour avoir été désagréable. Il m’avoue que lui, sans avoir peur, préfèrerait aussi une allure plus agréable, mais que ca va. Il me rassure quant a la légitimité de mes craintes, . Nous arrivons à prendre la sitation à la dérision, et plaisantons. Je lui apprends “doux le vent”, et nous le chantons en coeur. J’arrive même à me motiver à faire cuire des pâtes. Cela peut vous sembler dérisoire, mais dans des conditions pareilles cuisiner relève pour moi de l’exploit. J’ai l’impression d’ être wonderwoman et que ma tambouille est le met le plus exquis qu’il m’ait été donné de manger!

 

Bon, je commence a avoir le mal de mer a me concentrer ainsi, donc je laisse tomber les accents. Je vous laiosse vous debrouiller, les voici : é à ô ê  è î   ç â, j’espere que le reste de mon recit sera tout de meme lisible.

 

Dans l’après-midi, le ciel se couvre. Nous restons blottis l’un contre l’autre a regarder l’horizon et a ecouter de la musique. Puis Thomas va se coucher et je prends le premier quart. A la tombee de la nuit, le vent se calme toujours un peu et nous donne un peu de repis, nous renvoyons le genois.

 

Vers 21h30, je dors depuis un peu moins d’une heure lorsque, rebelotte, je suis reveille par des secousses desagreables. Une fois de plus, Thomas me dit qu’il gere, et je vais m’installer sur le canape. Mais une heure plus tard, je sens vraiment le bateau trembler, et le bateau est vraiment penche. En ninja zen nouvellement auto-praclamee, je me leve tranquillement, et dit a Thomas que “c’est assez inconfortable et j’aimerais bien que l’on fasse quelque chose”. Il me repond immeditation :”oui, il faut enrouler du genois”. Nous sommes dans un grain, alors je prends le temps de m’equiper contre la pluie avant de sortir. Thomas me confie la barre, je fuis par l’arriere pour soulager la tension dans le genois, afin de lui permettre de l’enrouler.

 

Ca va deja mieux, mais le grain rend le vent tres inconstant. On passe de 10 a 30 noeuds en rafales. J’avoue a Thomas ne pas me sentir de prendre mon quart. Il me dit que de toute facon, il se sent bien, il avait prevu de veilller toute la nuit. Je reste quand meme avec lui pour lui tenir compagnie. Nous inventons une nouvelle version de doux le vent (oui oui, nous passons experts en la matiere!) :

 

Clair le ciel

Brillent les etoiles

Sur une mer calme

Patchwork vogue sereinement

Vogue, vogue, vogue

 

Tout a coup, la pouilleuse (voile bomee entre les deux mats) se met a faseyer viollement. Thomas pense que l’ecoute a lache, il va voir… en fait c’est carrement la bome qui a lache! Eventree sur toute la longueur, et sectionne au bout. Je prends la barre, abat de nouveau pour permettre a Thomas d’affaler la pouilleuse. Lorsqu’il me rejoint dans le cockpit, on entame directement “clair le ciel”. Apres quelques repetitions, nos nerfs sont calmes et on debriefe : ca nous apprendra, c’est la seule bome que  nous n’avons pas refaite (nous avons recolle celle de la trinquette en aout, et remplace celle de la grand-voile par une bome alu l’annee derniere). On se dit qu’objectivement, on peut se passer de la pouilleuse, que bientot on sera vent arriere et qu’alors les phares carres rendront inutiles toutes les autres voiles. Alors on decide de continuer comme ca. On a entendu dire qu’a Chiloe, l’ile ou on compte atterir au Chili, il y a du bon bois et des des chantiers de construction de bateaux traditionnels. Ce sera l’endroit ideal pour refaire ou faire refaire la bome. On espere pouvoir trouver un quai pour accoster, car la bome de pouilleuse nous servait de palan pour descendre l’annexe. Il nous sera encore possible de la mettre a l’eau, mais moins facilement, pouvoir debarquer directement depuis un quai sera plus confortable.

 

Ainsi et par la force des choses, nous avons reduit notre voilure. Patchwork (et son equipage!) ne s’en trouvent pas plus mal. A 1h du matin, le ciel degage s’est installe et les etoiles brillent. Pas de grain a l’horizon, le vent est plus constant, je me sens de prendre mon quart. Thomas peut enfin se reposer. Le reveil a 4h est difficile pour lui, mais je ne tiens plus, debout depuis 22h30 apres avoir dormi deux malheureuses petites heures. Le jour qui se leve l’aidera a rester eveille.

 

Au moment ou je vous ecris, nous  laissons dans notre sillage les nuages, et avancons vers un horizon degage, sous un grand ciel bleu.

 

Les conditions de mer sont proches de celles qui m’ont fait perdre mon sang froid il y adeux jours, mais nous sommes moins toiles, et deja plus experimentes. Vive la plasticite du cerveau qui nous permet de nous adapter si rapidement aux circonstances!

 

J’arrete la mon roman, esperant que mes prochains recits seront plus laconique. Vous avez remarque que lorsque tout va bien, on ne passe pas 30 minutes a detailler tout ce qui est formidable, mais qu’on prend un malin plaisir a deblaterer sur les peripeties et les aventures? Serait-ce le biais de negativite de notre cerveau, qui considere le “tout va bien’ comme une valeur par defaut a laquelle il n’est pas utile de faire cas, et a besoin de se rassurer, de tirer des lecons des moments difficiles? Ou bien serait-ce une soif perverse du sensationnel? Dites-moi ce que vous en pensez en nous envoyant un petit message sur le telephone satellite!

A bientot,

Alexandrine